Christian Chelebourg
Maître de Conférences (HDR)
de langue et littérature françaises*
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* les articles ci-dessous dont les titres sont soulignés sont en ligne
Axes de recherche
Littérature française du xixe siècle, principalement le Romantisme.
Imaginaire et poétique : poétique du sujet, poétique de l’objet.
Littératures du surnaturel.
Principaux auteurs étudiés : Alphonse Daudet, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Victor Hugo, Prosper Mérimée, Jules Verne*.
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Liens sur Jules Verne :
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Centres de recherche
Crée (Collectif de Recherches sur l’Écriture et l’Espace), laboratoire intégré à Oracle (Observatoire Réunionnais des Arts, des Civilisations et des Littératures dans leur Environnement), Université de La Réunion.
Cerli (Centre d’Études et de Recherches sur les Littératures de l’Imaginaire), Université de Paris-XII Créteil.
Crlv (Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages), Université de Paris-IV Sorbonne.
Chercheur associé au Cerr (Centre d’Études du Roman et du Romanesque), Université de Picardie-Jules Verne.
Chercheur associé au Centre Gaston Bachelard de Recherche sur l’Imaginaire et la Rationalité, Université de Bourgogne.
Responsabilités éditoriales
Fondateur et directeur de la série Écritures XIX aux éditions des Lettres Modernes-Minard.
Directeur de la série Jules Verne aux éditions des Lettres Modernes-Minard.
Responsable de publication de la revue Crée ! publiée par les éditions Kimé.
Membre du comité de direction et du comité de lecture du Centre International Jules Verne d’Amiens.
Organisation de colloques
« L’Écriture du surnaturel du déclin des Lumières à l’aube de la psychanalyse », Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle (2-9 juillet 2007).
« Le Ciel du romantisme », Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle (14-21 août 2004).
« Alphonse Daudet pluriel et singulier », Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle (14-21 août 2002).
« Les Imaginaires de la boue », Université de Bourgogne, Centre Gaston Bachelard (24-25 fév. 1995).
« L’œil trompé », Université de Bourgogne, Centre Gaston Bachelard (19 mars 1994).
En collaboration :
Avec Vincent Tavan : « Jules Verne, un visionnaire inquiet », Université de La Réunion, Oracle, en collaboration avec M. Vincent Tavan (18-20 avril 2005).
Avec Hervé Guineret : « Images du pouvoir, pouvoir des images », Université de Bourgogne, Centre Gaston Bachelard (17-18 janv. 2002).
Liste analytique des travaux publiés
Ouvrages
Le Surnaturel – Poétique et écriture, Paris, Armand Colin, « U », 2006 (268 pages).
À travers la religion, la superstition et les croyances de toutes sortes, le surnaturel exerce sur nos imaginations une séduction impérieuse que la littérature et les arts exploitent tantôt dans un but prosélyte ou polémique, tantôt pour en tirer un parti esthétique. On a pris l’habitude, tant sur le plan sociologique que sous l’angle critique, d’aborder ce vaste secteur de l’imaginaire en l’émiettant, de distinguer par exemple la foi de la fantaisie, le fantastique du merveilleux, ou les genres nobles des genres populaires. Cet ouvrage s’attache au contraire à retrouver la cohérence d’ensemble des rêveries inspirées par la pensée surnaturaliste en étudiant leur dynamique créatrice d’un point de vue synthétique. Le surnaturel, dès lors, apparaît cosmogonique. Il engendre en effet des mondes, dont il trouve le modèle dans la pensée magique et qui s’alimentent à toutes les sources de l’irréel. L’exploration méthodique de ces mondes (enchanté, onirique, signifiant, hanté, halluciné, déréglé), l’analyse de leurs arcanes intellectuels et des rêveries qu’il suscitent constitue à la fois une invite à en goûter la poésie, et une mise en garde contre les pièges qu’ils tendent à la raison dans ses domaines d’exercice.
Jules Verne, la science et l’espace – travail de la rêverie, Paris, Lettres Modernes Minard, « Archives des Lettres Modernes », 2005 (154 pages).
L’écriture des « Voyages extraordinaires » procède d’une double rêverie sur la science et sur l’espace. C’est le travail de cette rêverie qui est abordé ici, c’est-à-dire la manière dont elle met en œuvre l’imaginaire du sujet, ou si l’on préfère les voies qu’elle emprunte pour produire le texte romanesque. Il est analysé à partir de quatre romans révélateurs de la permanence comme des évolutions de la poétique vernienne : Voyage au centre de la Terre, Les Indes noires, Hector Servadac et Maître du monde. Leur lecture est l’occasion d’étudier le travail concret de l’écrivain à partir de ses références littéraires ou documentaires, de préciser comment il allie sa fantaisie à sa mission éducative, ainsi que ses positions philosophiques à l’égard du progrès technique. Pour finir, l’examen d’un conte tardif, « M. Ré-Dièze et Mlle Mi-Bémol », met au jour sa réflexion lucide et mélancolique sur le rôle qu’a joué son œuvre dans l’aliénation des jeunes lecteurs au machinisme triomphant.
Jules Verne – Livret pédagogique, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de Poche », 2005 (184 pages [hors commerce]).
Les quatre séquences qui composent ce livret pédagogique destiné aux enseignants du secondaire illustrent l’intérêt qu’il peut y avoir à travailler sur ce corpus au lycée. Trois sont consacrées à des œuvres complètes : Le Tour du monde en quatre-vingts jours, Vingt mille lieues sous les mers et Le Château des Carpathes. Elles font l’objet tant de lectures suivies que d’approches synthétiques ; elles sont aussi l’occasion d’analyser des gravures et le lien entre texte et image ; enfin, à travers une série de documents (récits de voyage et correspondance de l’auteur), on y aborde la réécriture et les étapes de la création. La quatrième est un groupement de textes consacré aux rapports entre science et fiction. On y découvre un Jules Verne traitant de questions très proches de notre actualité. Ces diverses séquences peuvent tantôt servir l’enseignement du commentaire de texte, tantôt celui de la dissertation ou du sujet d’invention.
Prosper Mérimée, le sang et la chair – Une poétique du sujet, Paris, Lettres Modernes Minard, « Archives des Lettres Modernes », 2003 (160 pages).
Guerre, infanticide, parricide, fratricide, l’écriture de Mérimée fait la part belle aux crimes de toute sorte, et particulièrement aux violences amoureuses. Du Théâtre de Clara Gazul à Lokis, le sang coule à flots sous sa plume, et la chair appelle à tous les débordements d’une passion exacerbée. Si elle participe à ses débuts de l’esthétique frénétique, si elle s’inscrit, non sans retenue, dans le goût romantique de la « couleur locale » et du fantastique, l’inspiration de Prosper Mérimée répond d’abord à des impératifs intimes qui trouvent leur source dans l’imaginaire du sujet. Un parcours de ses œuvres littéraires complètes et leur mise en relation avec sa production érudite montre que sa poétique est dynamisée par la quête d’une virilité maîtrisée, dont l’assomption passe par le triomphe, en lui, du « cuistre » sur le « vaurien ».
Le Romantisme, Paris, Nathan Université, « 128 », 2001 (128 pages) [réédition Armand Colin, 2005].
Le romantisme littéraire français est né au carrefour de l’héritage rousseauiste et d’influences européennes, comme un besoin de renouvellement des Lettres correspondant aux bouleversements politiques de la Révolution et de l’Empire. Émergeant dans les années 1820, au prix d’une lente et tumutueuse gestation critique, il s’impose en 1830, pour dès lors imprégner en profondeur notre littérature. Cet ouvrage retrace l’historique du mouvement, avant d’analyser ses apports à l’esthétique des genres et d’établir la topique de son imaginaire, par une étude panoramique et phénoménologique de ses productions.
L’Imaginaire littéraire – Des archétypes à la poétique du sujet, Paris, Nathan Université, « Fac », 2000 (192 pages).
L’ouvrage fait, d’abord, une présentation détaillée des principales conceptions et méthodes d’approche de l’imaginaire en littérature (lecture bachelardienne, archétypologie de Gilbert Durand, poétique de l’Imaginaire de Jean Burgos) et de leur fondement psychanalytique commun : la psychologie analytique de Jung. Chaque démarche critique est illustrée par deux exemples précisant de façon concrète ses enjeux et la pertinence de ses concepts.
Par la suite, l’exposition des théories de Jacques Lacan vient autoriser un élargissement de la définition de l’imaginaire, conçu comme « le moyen par lequel le sujet soumet la réalité à son narcissisme » (p. 109). Sous le nom de poétique du sujet, l’étude des procédés linguistiques propres à cette inféodation de la réalité aux contraintes narcissiques autorise une analyse des motivations de la création. Il s’agit, pour cela, d’identifier les constantes idiolectales de l’écriture, ses destinataires intimes et l’image du moi qu’elle tâche à constituer pour pallier la « difficulté d’être » (p. 106) de l’écrivain. Au total, la poétique du sujet recherche dans l’imaginaire la réponse à deux questions essentielles : pourquoi et comment l’œuvre est-elle écrite ?
Une dernière partie se compose de trois études chargées de montrer en quoi les différentes approches critiques de l’imaginaire se complètent et peuvent servir, notamment, à comprendre la logique interne d’un réseau imageant, l’exploitation d’une thématique ou la constitution d’un idiolecte.
D’une manière générale, ce parcours critique détaille les déterminations qui pèsent sur le choix des images, au sens large, afin d’éclairer la spécificité de chaque processus créateur. Nombre d’auteurs y sont abordés : Hugo, Gautier, Verne, Flaubert, Rimbaud, mais aussi Chateaubriand ou Balzac pour le XIXe siècle ; Proust, Claudel, Saint-Exupéry ou Tournier pour le XXe.
Jules Verne, l’œil et le ventre – Une poétique du sujet, Paris, Lettres Modernes Minard, « Bibliothèque des Lettres Modernes », 1999 (268 pages).
La poétique du sujet se propose d’explorer les motivations de la création littéraire en recherchant, dans l’imaginaire et la langue, l’empreinte des contraintes narcissiques qui déterminent l’écriture.
Analysant l’ensemble des « Voyages extraordinaires », nous recherchons, d’une part, quelle image de lui-même Jules Verne construit et diffuse à travers cette somme romanesque (61 romans, 16 nouvelles) et, d’autre part, quelles intimations subjectives donnent à l’ensemble sa cohérence stylistique et thématique.
Les composantes optiques de l’imaginaire vernien font subir aux savants, à la science et à la terre, une violence qui vise la figure paternelle de Pierre Verne et tâche de remédier aux traumatismes amoureux vécus par le jeune Jules Verne. Pour mener à bien cette entreprise, le romancier utilise un héritage maternel composé de graves pathologies oro-anales et d’une imagination, ressentie comme exceptionnelle, à laquelle il demande de les compenser. Par l’écriture, il se fait chef cuisinier, afin d’assouvir et de réparer une boulimie maladive qui fait obstacle à sa socialisation.
Édition de textes
Préface, notes et variantes de Gautier Théophile, Le Mont Saint-Michel, Paris, La Chasse au Snark, 2003.
Paru dans Le Moniteur Universel des 3 et 6 avril 1860, puis repris dans Quand on voyage, ce bref récit viatique est, pour Théophile Gautier, l’occasion d’une réflexion en images sur la question de la description littéraire et les origines de l’esthétique romantique. L’usage qu’il fait de la métaphore dans ce tableau de la grande marée d’équinoxe expose sa recherche d’une mimesis fondée sur l’identification de la langue à son référent, comme sa volonté d’opérer la synthèse des esthétiques classique et romantique. Enfin, la visite de la Merveille, conçue comme un voyage aux sources de son inspiration fantastique, fait apparaître que celle-ci se nourrit d’une fascination pour le mal intérieur, et se dynamise dans la lutte perpétuelle contre ces ténèbres intimes : l’écriture de Gautier procède pour partie d’une intériorisation du mythe de Saint-Michel.
Préface, notes et variantes de Hugo Victor, Mille francs de récompense, Paris, La Chasse au Snark, 2002.
Mille francs de récompense constitue une nouvelle illustration de l’anankè des lois, probablement inspirée par l’interprétation amphibologique du titre d’un ouvrage adressé au poète par Nadar : Le Droit au vol. Cette pièce oppose, en effet, un vol légal mais illégitime à un vol légitime mais illégal. C’est sans doute en s’articulant à la question du vol de ses droits d’auteur dramatique par la censure impériale que cette problématique a déterminé, chez Hugo, le choix d’écrire pour le théâtre, tandis que l’influence des Misérables invitait à l’écriture en prose. Le drame prend les habits du roman et du mélodrame, comme les bourgeois s’y déguisent pour carnaval, révélant par leur travestissement que la société est un jeu de masques, nuisible à l’avènement d’une loi qui serait amour.
Préface et annotation de Mérimée Prosper, Lokis, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de Poche / Les classiques d’aujourd’hui », 1995.
Malgré les contraintes propres à la collection, la présentation de cette nouvelle est l’occasion de quelques précisions sur sa portée idéologique. La place qu’y occupe le luthérianisme tient, certes, aux options religieuses de Mérimée comme à l’influence de Fanny Lagden mais, de la part d’un proche de l’Impératrice, elle apparaît en outre comme un défi lancé à Pie IX, au moment où il travaillait à se faire reconnaître infaillible. À l’inverse, toutefois, le choix d’un narrateur prussien, alors que la tension montait entre la France et l’Allemagne, témoigne d’une volonté de ne pas inféoder la littérature à la politique : le même principe avait conduit Mérimée à publier le Théâtre de Clara Gazul en pleine intervention de la France en Espagne.
« Préface », in Verne Jules, Vingt mille lieues sous les mers, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de Poche », 1990 [rééd., 2001] (pp. iii-xxviii).
Cette préface, destinée au grand public, montre d’abord en quoi l’écriture de ce récit mêle réminiscences mythologiques et influences littéraires. Elle établit que Jules Verne se situe parmi les épigones du romantisme, d’une part en revenant sur l’hommage qu’il rend aux Travailleurs de la mer, de l’autre en révélant ses nombreux emprunts à La Mer de Michelet. Elle montre ensuite que les procédés scripturaux de Verne, compilant ouvrages ou articles de vulgarisation, font de lui « l’homme du savoir indirect, le poète de l’encyclopédie plus que de la science » (p. xv). Enfin, elle étudie la fortune de l’un des romans les plus vendus au monde.
Direction de revues
Écritures XIX 3, « Alexandre Dumas “ raconteur ” », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2005 (288 pages).
Écritures XIX 2, « Images du temps, pensée de l’histoire », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2005 (214 pages).
Écritures XIX 1, « Alphonse Daudet pluriel et singulier », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2003 (338 pages).
Jules Verne 8, « Humour, ironie, fantaisie », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2003 (236 pages).
Figures, n° 16/17, 1er trim. 1996, « Imaginaires de la boue », Dijon, E.U.D.-C.R.I.S.M., 1996.
Jules Verne 7, « Voir du feu, contribution à l’étude du regard », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 1994 (180 pages).
En collaboration :
Avec Serge Meitinger : Crée !, n° 1, « Écritures de la ville », Paris, Kimé, 2006.
Avec Hervé Guineret : Figures, n° 29, « Images du pouvoir, pouvoir des images », Dijon, E.U.D.-C.R.I.S.M., 2003 (en collaboration avec M. Hervé Guineret).
Articles
Sur Jules Verne
« Les Contes d’un grand-père – Ré-Dièze et Raton sur les traces de Sand et d’Hoffmann », Otrante, n° 18/automne 2005, “ Jules Verne et la veine fantastique ”, Schaffner Alain et Mellier Denis (eds), (pp. 27-36).
Respectivement publiés par Verne en 1893 et 1895 dans Le Figaro illustré, « Aventures de la famille Raton » et « M. Ré-Dièze et Mlle Mi-Bémol », les deux seules incursions de l’auteur dans le genre merveilleux, empruntent aux Contes d’une grand-mère de George Sand leurs arcanes féeriques. « La Chien et la fleur sacrée », d’une part, « Le Gnome des huîtres », de l’autre, ont inspiré la métempsycose des « Aventures de la famille Raton », tandis que « L’Orgue du Titan » a donné à Verne l’idée du fabuleux instrument mis en scène dans « Ré-Dièze ». Le merveilleux vernien procède aussi des mêmes principes que celui de Sand : il repose sur le jeu sur les mots, le double sens ou l’interprétation littérale. C’est la réduction sandienne du merveilleux au scientifique qui semble avoir séduit un auteur qui prétendait avoir fait de même avec le fantastique. Sur les pas de George Sand, le conteur retrouve aussi Hoffmann ; l’analyse que l’auteur allemand faisait de la manière de Callot – confusion satirique de l’homme avec l’animal ou l’instrument – régit l’art vernien du portrait et oriente sa création dans le sens d’une critique de la société et du machinisme.
« Jules Verne, ingénieux ingénieur », in Philippe Mustière et Michel Fabre (eds), Actes du colloque international, 12 octobre 2005, École Centrale, Nantes – Jules Verne, les Machines et la Science, Nantes, Coiffard, 2005 (pp. 317-325).
L’ingénierie vernienne repose sur l’ellipse ; elle consiste à donner l’illusion de la précision. Elle repose avant tout sur l’affirmation du perfectionnement des techniques acquises et s’éloigne délibérément de l’anticipation. Dans la représentation de la machine, Jules Verne obéit à deux logiques complémentaires, celle du technomusée qui consiste à retracer l’histoire des techniques, et celle de l’exposition universelle qui vise à mettre en valeur les technologies contemporaines. Des machines comme le Nautilus ou l’Albatros sont ainsi conçues de manière à faire ressortir les merveilleuses potentialités d’inventions bien réelles. Du reste, leur construction romanesque participe d’une forme d’épure : une fois admise leur énergie, dont l’irréalité ne manque pas d’être soulignée, elles se ramènent à la mise en œuvre de principes mécaniques très simples, qui emportent la conviction du lecteur quant à leur possibilité.
« Avant-Propos – Pour une réhabilitation de l’humour vernien » (pp. 5-16), Jules Verne 8, « Humour, ironie, fantaisie », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2003.
Cet avant-propos plaide pour un humour vernien souvent dévalorisé. Ainsi, Julien Gracq parle-t-il des « vieilles recettes comiques » auquel l’auteur reviendrait dans ses romans « bouche-trous ». En fait, l’examen des « Voyages » montre que le rire y est un contrepoint habituel de la poésie. Certes, Verne reprend dans ses romans bien des plaisanteries exploitées dans les comédies de jeunesse, mais il en raffine alors l’expression littéraire. Les romans renouent aussi avec certains thèmes comiques du premier théâtre, comme l’adoption ou les assurances ; mais l’âpreté des réalités économiques les teinte de dépit. Le modèle diégétique du jeu est un autre point commun entre les comédies et les « Voyages » ; toutefois, des unes aux autres, le ludisme gagne en sérieux, au point de faire parfois courir aux joueurs de vrais dangers. Le pari est une forme de jeu privilégiée dans les romans, tant au niveau de la diégèse qu’à celui des relations entre le sujet et ses lecteurs : Verne engage ses talents de conteur dans une série de gageures romanesques, consistant à concilier réalisme et fantaisie. Il joue avec ses lecteurs.
« “ Le côté comique et la forme artistique ” – L’humour du jeune Jules Verne » (pp. 177-209), Jules Verne 8, « Humour, ironie, fantaisie », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2003.
Consacrée aux œuvres de jeunesse (théâtre et premiers essais narratifs), cette étude interroge le tournant qui conduisit Jules Verne, à partir de 1848, à développer une veine humoristique en rupture avec ses débuts dans le drame. Il apparaît que cette modification de son inspiration répond à une stratégie commerciale étayée par le besoin d’exorciser, au moyen du rire, une angoisse face au mariage. Dans l’imaginaire vernien, en effet, l’union conjugale tend à infantiliser les hommes. Pour se prémunir contre ce danger, le sujet adopte un humour qui lui permet de se comporter en « adulte » face à des personnages « enfants », mais à partir de sa collaboration au Musée des familles, en 1851, cette posture est relayée par une écriture didactique qui préfigure celle des « Voyages extraordinaires ». L’imaginaire des pièces et des nouvelles atteste que le thème du voyage s’impose progressivement aux yeux du jeune auteur comme le meilleur remède à un mariage bourgeois qui condamne à la désillusion les aspirations amoureuses de l’artiste.
« Nell, l’enfant des Indes noires – Voyage au centre du didactisme vernien » (pp. 183-203), Cahiers Robinson, n° 12, « Enfants sauvages », Arras, Université d’Artois, 2002.
Nell, en tant qu’enfant sauvage, se caractérise psychologiquement par une « terreur » qui la rattache aux profondeurs chtoniennes, et mythiquement par une analogie avec Zeus, protégé par la Terre-Mère des fureurs de Cronos. C’est d’ailleurs son incompréhension du lexique temporel qui souligne son ignorance du monde extérieur. L’existence souterraine de Nell se traduit, d’abord, par une nyctalopie qui lui révèle la véritable poésie des ténèbres, ensuite par un aveuglement imaginaire qui rend son éducation nécessaire, pour éviter qu’elle épouse son sauveur sous le coup d’une passion irréfléchie. Car le mariage est ici une nécessité : il participe d’un travail réparateur du sujet, touchant aux relations avec Michel Verne. L’éducation de Nell passe par une excursion en surface construite sur le modèle de l’allégorie de la caverne ; Platon offre à Verne l’occasion de formuler un idéal pédagogique reposant sur la rêverie, le contact concret avec l’espace et l’analogie de celui-ci à une écriture. Le sujet met ainsi en cohérence sa pratique du roman éducatif et sa conception de l’enseignement.
« Jules Verne, passeur de siècle », in Les Limites de siècles – Champs de forces conservatrices et régressives depuis les temps modernes, II, Besançon, PUFC, « Annales littéraires », 2001 (pp. 515-525).
Cette étude propose un parcours de la production vernienne entre 1899 et 1901, tant du point de vue de l’édition que de la création. La diachronie des « Voyages extraordinaires » publiés en cette période révèle que Verne y formule un double message esthétique et scientifique. D’une part, il se plaît à constater qu’il a créé un genre nouveau et s’élève contre les prétentions du réalisme ; la nudité du monde est, à ses yeux, mesure de la puissance des fictions. D’autre part, il caricature le dogmatisme scientifique, et tout particulièrement l’inféodation de la recherche à des préjugés religieux ; il prône une exploration objective du monde vivant. Quant à son travail d’écriture, il s’offre exceptionnellement trois mois de répit à la fin du XIXe siècle, après avoir encore une fois condamné l’avidité de l’homme ; au matin du 1er janvier 1901, il s’attelle à un nouveau roman, Le Beau Danube jaune, dont la diégèse signifie symboliquement que l’heure du repos a sonné pour lui.
"Du texte à l’imaginaire : l’infra-langage – l’exemple des “ Voyages extraordinaires " de Jules Verne », in Foyard Jean (ed.), Le Texte et ses modèles, Dijon, CRTÉ-Université de Bourgogne, 1998 (pp. 105-140).
Il s’agit là d’un exposé des composantes linguistiques et stylistiques de la thèse de doctorat. L’idée centrale est qu’un infra-langage, nanti d’une sémantique subjective et d’une syntaxe qui en combine diégétiquement les différents vocables, est à l’origine de l’organisation des fictions comme de la constitution d’un idiolecte. Le sens propre de l’œuvre apparaît dès lors interprétable comme le sens figuré de cet infra-langage, si bien que la langue littéraire diffère de la langue usuelle, de l’outil de communication, en ce qu’elle est fondamentalement figurée.
« Jules Verne, conservateur républicain – Éloge de la politique oxymorique », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 128, 4e trim. 1998 (pp. 45-51).
Cette analyse politique de Verne met en relation son action concrète de candidat puis d’élu amiénois et la dimension idéologique contenue dans L’Île à hélice et En Magellanie. On y voit que Verne s’engage dans sa ville pour incarner une forme d’oxymore politique : il se présente en conservateur républicain. Cette position découle de sa méfiance envers les hommes de pouvoir. Il convient, pense-t-il, de ne donner les rênes d’une collectivité qu’à des hommes qui n’en veulent pas, tel l’anarchiste non-violent et solitaire qu’est le Kaw-Djer dans En Magellanie.
« K M X Z – Où Jules Verne parle de son fils dans la langue d’Arne Saknussemm », Revue Jules Verne, n° 3, « Un écrivain célèbre et méconnu – Synthèse des rencontres internationales d’Amiens / Mars 1997 », 1er sem. 1997, Amiens, Centre de Documentation Jules Verne, 1997 (pp. 97-109).
Ce texte, qui analyse les conséquences littéraires des relations essentiellement conflictuelles entre Jules Verne et son fils Michel, est repris dans L’Œil et le ventre (pp. 104-111).
« L’Île aux “ calembredaines ” – Imagination et oralité dans la conception de Standard Island », Revue Jules Verne, n° 1, « Géant des mers », 1er sem. 1996, Amiens, Centre de Documentation Jules Verne, 1996 (pp. 27-36).
Cette étude illustre le fonctionnement de l’oralité vernienne par l’étude de L’Île à hélice. Elle établit que ce roman vise à mettre en cohérence la vie publique de Jules Verne et son imagination romanesque, toutes deux chargées de le nourrir et de lui permettre un contrôle de ses symptômes. Elle a été reprise dans L’Imaginaire littéraire (pp. 120-129).
« Les drames de l’aube – Étude comparée des influences du drame romantique sur l’inspiration du jeune Jules Verne », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 114, 2e trim. 1995 (pp. 7-25).
Cette étude s’attache à cerner les influences littéraires que subissait Jules Verne entre 1847 et 1852, alors qu’il espérait s’imposer comme auteur de théâtre. Il apparaît que, profondément hugolien d’abord, il s’est progressivement orienté dans la voie ouverte par Alexandre Dumas. C’est ainsi qu’il est passé du drame en vers au drame en prose et du décor italien à l’ambiance de La Tour de Nesle, dans le même temps qu’il s’essayait à une forme de prologue inspirée de La Jeunesse des Mousquetaires. Cette évolution, favorisée par l’amitié de Dumas fils qui lui fit rencontrer son père, semble avoir été également animée par un souci d’adaptation au goût mélodramatique de l’époque. Dès ces années de formation, la stratégie commerciale paraît avoir primé, chez lui, sur la recherche d’une esthétique originale.
« L’œuf de Robinson – contribution à l’étude de l’espace vernien », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 108, 4e trim. 1993 (pp. 32-40).
Cet article étudie la constitution de l’espace imaginaire dans les romans verniens à partir du cas des robinsonnades. Il a été repris dans la thèse et dans L’Œil et le ventre (pp. 125-143).
« Du “ Robinson magnifique ” à L’Île mystérieuse – Annales d’une création », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 105, 1er trim. 1993 (pp. 11-19).
L’examen des manuscrits, des procédés d’écriture et de la correspondance de Jules Verne permet de fixer la chronologie de la conception et de la rédaction de L’Île mystérieuse. De 1865 à 1869, Jules Verne, selon ses propres termes, « rêve à un Robinson magnifique » (p. 13). Mais c’est seulement au cours de l’hiver 1869-1870 qu’il entame la rédaction de L’Oncle Robinson, version initiale, et refusée par Hetzel, de la première partie du roman. L’Île mystérieuse proprement dite fut rédigée, quant à elle, de fin 1872 à octobre 1873, pour la Ire partie, puis de là à l’automne 1874 pour la IIe partie. Entre temps, le refus d’Hetzel avait provoqué entre les deux hommes une grave crise de confiance, qui entraîna une redéfinition du contrat éditorial qui les liait.
« Le complexe de Polyphème », Jules Verne 6, « La science en question », Paris, Lettres Modernes Minard, 1992 (pp. 109-133).
Ce travail explore dans son ensemble la dimension optique de l’imaginaire vernien. Celui-ci s’organise autour des différentes significations subjectives attachées au nom de Polyphème. Ce texte a été repris dans la thèse, puis dans L’Œil et le ventre (pp. 37-57).
« Descendance de Michel Strogoff », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 102, 2e trim. 1992 (pp. 3-5).
Ce bref article signalait le retour de Michel Strogoff sous la plume de Frédéric Dard, dans le centième roman de la série des San-Antonio.
« Vingt mille lieues sur canapé », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 98, 2e trim. 1991 (pp. 35-47).
Il s’agit là d’une étude de Vingt mille lieues sous les mers, établissant que le roman s’organise comme une révélation de l’image de la mauvaise mère et de sa collusion avec la figure paternelle. Elle a été reprise dans la thèse, puis dans L’Œil et le ventre (pp. 165-179).
« Friandises de poète – les fantaisies gourmandes de M. Jules Verne », in Gedenkschrift der Universität Burgund für Kurt Ringger, Hommages de l’Université de Bourgogne, Dijon, A.B.D.O., 1990 (pp. 49-66).
Cet hommage à Kurt Ringger détaille les arcanes de la fantaisie vernienne en matière de menus et de recettes. Ces données ont été réutilisées dans la thèse et dans le chapitre de L’Œil et le ventre intitulé « Nourritures de poète » (pp. 181-192).
« Jules Verne – P.-J. Hetzel : imaginaire d’une correspondance », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 94, 2e trim. 1990 (pp. 34-43).
Les lettres de Verne à Hetzel, seules connues à l’époque, sont ici exploitées de manière à comprendre les relations imaginaires qui liaient les deux hommes. On y voit, notamment, Jules Verne éviter les images amoureuses au profit d’images filiales, teintées de sado-masochisme. Les considérations touchant le rôle attribué à Hetzel dans la poétique du sujet vernien ont été reprises dans L’Œil et le ventre (pp. 235-241).
« Le paradis des fossiles – Stylistique de l’histoire naturelle dans Voyage au centre de la Terre », in Bessière Jean (ed.), Modernités de Jules Verne, Paris, P.U.F., 1988 (pp. 213-227).
L’organisation narrative de Voyage au centre de la terre est construite sur le modèle des avancées épistémologiques qui ont conduit à l’émergence de l’anatomie comparée, chez Cuvier notamment. L’efficacité de la langue didactique de Verne tient à ce qu’elle est imitation, illustration, mise en images de son objet. Ce travail a été repris dans le deuxième livre de la thèse, consacré au travail plastique de l’imaginaire.
« Les Voyages extraordinaires de Jules Verne. Une poétique de la science », Cahiers du Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique, n° 10, automne 1987, « Grands visionnaires de la science : Fr. Bacon, Cl. Bernard, J. Verne, L. de Vinci », Paris, M.U.R.S., 1987 (pp. 39-69).
Ce travail définit les principales images verniennes de la science et tâche à cerner leur fonction dans la dynamique créatrice. L’accent est mis sur la place de la figure paternelle comme matrice des conflits entre l’homme et la terre. Ce texte a constitué une première approche de l’imagination optique de l’auteur.
« Chronique gallienne – Imaginaire et fantastique dans Hector Servadac », Jules Verne 5, « Émergences du fantastique », Paris, Lettres Modernes Minard, 1987 (pp. 131-154).
Cette étude établit que la fiction d’Hector Servadac est construite sur le canevas du mythe platonicien d’Er-le-Pamphylien, croisé avec une thématique adamique : le voyage est accompli par des cadavres (c’est le palindrome de Servadac) qui renaissent au terme du récit. Le fantastique procède d’un détournement du mythe à des fins didactiques et consiste en une féerie cosmique où l’enchantement se mêle à l’angoisse. L’analyse todorovienne de la diégèse montre aussi que le fantastique découle, ici, d’une transgression de l’incompatibilité des thèmes du Je et du Tu. Ce texte a été repris dans la deuxième partie de la thèse.
« Le blanc et le noir – Amour et mort dans les Voyages extraordinaires », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 77, 1er trim. 1986 (pp. 22-30).
Dans l’œuvre comme dans la vie de Verne, on n’épouse que des veuves réelles ou symboliques. Les divers amoureux mis en scène dans les « Voyages » doivent donc subir l’épreuve de la mort pour aboutir au happy end marital. Cette constante thématique procède d’une angoisse de la défloration qui induit linguistiquement un tabou du substantif « hymen », pour cause de double sens, et aussi parce qu’il reprend partiellement le prénom d’Herminie Arnault-Grossetière, qui cristallise les frustrations amoureuses de Verne. Ce texte a été repris dans la thèse comme dans L’Œil et le ventre, où il a été approfondi par l’étude du théâtre de jeunesse (pp. 81-100 ).
« Le Humbug, une pierre au jardin des savants », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 76, 4e trim. 1985 (pp. 278-282).
Ce court article montre comment Verne se moque de la science et de sa propension à tomber dans les pièges que lui tendent certains charlatans.
« Un festin chez Watkins », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 75, 3e trim. 1985 (pp. 243-248).
L’analyse de L’Étoile du Sud, du double point de vue de l’organisation diégétique et de la structuration imaginaire de l’espace illustre la confusion symbolique de celui-ci avec un menu offert à la boulimie de l’auteur. Ce roman permet aussi d’établir, par le biais du thème de la « consommation », que l’imagination vernienne institue une équivalence entre s’alimenter, voyager et déflorer une femme. Dès lors, le voyage permet de contourner le tabou de l’hymen. Cette étude a été reprise dans la thèse et dans L’Œil et le ventre (pp. 145-158).
« Contre d’Ennery », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 75, 3e trim. 1985 (pp. 230-232).
Le manuscrit d’Hector Servadac prouve que la villa détruite visitée par les héros du roman sur une portion du littoral méditerranéen n’est autre que la villa des Chênes-Verts, qui appartenait à Adolphe d’Ennery. À travers cet épisode, Jules Verne se venge de son collaborateur pour les premières adaptations théâtrales des « Voyages ».
« Avatars et sémantique de l’Épouvante de Jules Verne », Les Études philosophiques, n° 1/1985, « L’imaginaire et la machine », Paris, P.U.F., 1985 (pp.139-154).
Synthèse des principales machines verniennes, l’Épouvante révèle les principaux arcanes de l’écriture mécaniste à l’œuvre dans les « Voyages extraordinaires » : croisement de mythes, analogie avec la nature, utilisation de l’électricité pour résoudre tous les problèmes et dynamiser à la fois le véhicule et la fiction. Maître du monde, dans lequel cette machine apparaît, est aussi un excellent révélateur de l’angoisse de Verne face au progrès technologique. Ce texte a été repris dans la deuxième partie de la thèse.
« Le texte et la table dans l’œuvre de Jules Verne », Bulletin départemental d’information, enseignement du 2nd degré, n° 9, mai 1985, Melun, C.D.D.P., 1985, pp. 34-40. Repris dans Bulletin de la Société Jules Verne, n° 80, 4e trim. 1986 (pp. 8-12).
Cet exposé pédagogique dégage les principales caractéristiques de l’oralité vernienne : organisation poétique de certains menus, fantaisies culinaires et géophagie.
« M. Ré-Dièze et Mlle Mi-Bémol : un cauchemar scientifique de Jules Verne », Actes du 109ème Congrès National des Sociétés Savantes (Histoire des sciences et des techniques), 1984 (pp. 251-259).
Cette étude de M. Ré-Dièze et Mlle Mi-Bémol montre que le conte véhicule une parabole de la création littéraire dans laquelle se fait jour l’angoisse de Jules Verne face à la science, et son rejet du public enfantin que lui impose le contrat avec Hetzel. C’est également dans cette nouvelle que se manifeste de la manière la plus explicite l’analogie des « Voyages extraordinaires » avec une fugue musicale et, plus largement, avec une fuite, ce qui relie étymologiquement la création littéraire au patronyme Allotte de la Fuÿe, et donc au versant maternel de l’imaginaire vernien.
sur victor hugo
« Poétique de la feuille morte – Le temps épique et l’écriture dans La Légende des siècles – Première série. » (pp. 175-196), Écritures XIX 2, « Images du temps, pensée de l’histoire », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2005.
La Légende des siècles – Première série intègre la temporalité cyclique de l’histoire humaine dans un temps plus vaste, linéaire et vectoriel, qui oriente la création divine dans le sens du progrès. Celui-ci est imaginé sur le modèle d’un jour unique et paradoxal, puisqu’il ne conduit qu’à la lumière. La figure de la flèche symbolise la permanence des idées progressistes dans les périodes de régression tyrannique. Celle de l’arbre traduit en termes de poussée le désir d’élévation qui anime la création tout entière. Elle se charge de connotations érotiques qui font de l’ensemencement le principe de l’œuvre divine, et réconcilient la matière avec l’esprit par le biais de l’amour. C’est sous le signe de cette fécondité que le poète place son œuvre en la présentant comme une feuille morte. Par ce symbole complexe de l’écriture, le sujet hugolien établit aussi entre l’épopée et la nature une analogie qui lui permet d’incarner le progrès.
« "Toute la question terrestre… ” – l’écriture et la femme dans le théâtre hugolien de l’exil » (pp. 105-121), Recherches & Travaux, n° 62 / 2003, « Hugo et la chimère », Grenoble, Université Stendhal, 2003.
Le paratexte du « Livre dramatique » des Quatre vents de l’esprit, guide la lecture du théâtre d’exil en invitant à la polariser sur la question de la femme, qui synthétise les préoccupations terrestres de l’auteur. Ce versant de l’inspiration hugolienne apparaît ainsi comme le pendant de ses veines apocalyptique et prophétique. Aux révélations sur l’au-delà et le destin de l’homme, le théâtre oppose une interrogation sur la vie concrète, qui fait de l’amour la puissance des faibles comme la faiblesse des puissants, et débouche sur la formulation d’un double impératif de liberté et de bonheur pour tous. Pour cela, drames et comédies dénoncent les clichés poétiques de l’idéal amoureux et s’engagent dans la construction d’une figure de la femme en chimère de chair et d’âme, dont la maternité atteste seule la parfaite rédemption.
« Victor Hugo et la paix universelle – Un parcours des Actes et paroles » (pp. 173-185), in Guineret Hervé (ed.), Kant, “ Vers la paix perpétuelle ”, Paris, Ellipses, « Analyses et réflexions », 2002.
En plantant un arbre de la Liberté, le 2 mars 1848, Hugo s’engage dans un combat politique aux fortes résonances messianiques et mystiques, qu’il relie à la Révolution et aux guerres napoléoniennes, tout en l’en démarquant par sa dimension pacifique. Le 21 août 1849, devant le Congrès de la Paix, il proclame la vocation universelle de sa vision comme de son action ; le travail pour la paix est alors subsumé sous la loi d’amour qui doit régir les rapports internationaux et s’incarner d’abord dans la constitution d’« États-Unis d’Europe ». Vingt ans après, face au même Congrès, il continue d’affirmer sa confiance dans l’avenir, mais le règne de Napoléon-III l’oblige à refuser une paix qui ne reposerait pas sur la liberté. Il affirme donc la nécessité d’une guerre préalable contre le despotisme. Après 1870, il dénonce un traité de paix dans lequel il voit une forme d’Anankè, et appelle à la reconquête des départements rhénans pour imposer à l’Allemagne une paix définitive. Hugo n’est pas un pacifiste : la paix, pour lui, ne peut être que la résultante de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ; elle suppose la République. Pareille vision concilie les rêveries martiales du Romantisme et sa foi dans le progrès.
« Victor Hugo “ Pair conscrit ” (1870-1872) », in Duroux Rose et Montandon Alain (eds), L’Émigration : le retour, Clermont-Ferrand, CRLMC-Université Blaise-Pascal, 1999 (pp. 345-364).
Fin août 1870, tandis qu’il attend à Bruxelles de pouvoir regagner la France, Hugo souligne la formule de « Pair conscrit » par laquelle un journal belge le qualifie. À la faveur de divers calembours, elle fixera son attitude durant toute la période de l’année terrible, accompagnant une vaste redéfinition de l’image du moi qui entraîna une réinterprétation de la vie en exil et l’infléchissement de la veine apocalyptique en poétique de Grand-père conscrit. Cette étude illustre particulièrement l’empreinte du signifiant sur le comportement narcissique du sujet, tant en matière de vie publique que de création littéraire.
« Victor Hugo : poétique de l’exil », in Djardem Fafia (ed.), Quelle identité dans l’exil ? (Origine... Exil... Rupture...), Paris, L’Harmattan, 1997 (pp. 209-242).
Cet article étudie la restructuration de l’imaginaire qui conduisit le sujet hugolien à la création apocalyptique. Il est organisé comme une série de parcours, les uns réels, les autres propres à l’imagination, qui rendent compte de l’évolution de la représentation du moi et du monde dans lequel il s’insère. On y voit Hugo, dès juillet 1851, trouver la voie politique qui le fera « Auguste » ; on le voit faire de l’exil un lieu de châtiment pour le tyran, et donner à cet espace la forme symbolique d’un cercle nocturne, d’un cercle de l’Enfer ; de là, découle une confusion de la vie avec la mort, qui autorise l’écriture apocalyptique. Pamphlets politiques et écriture apocalyptique apparaissent, dès lors, comme participant d’une même dynamique de l’imaginaire, qui conduit également Hugo à revivre et à réparer le traumatisme infantile de son sevrage précoce en incarnant la figure du général Lahorie, qui fut son parrain et l’amant de sa mère.
« “ Sur un fond de ténèbres quelque bizarre alphabet ” – le souterrain et la langue chez Victor Hugo », in Gaillard Aurélia (ed.), Les Imaginaires du souterrain, Paris, L’Harmattan, « Cahiers du CRLH-CRIAOI », 1997 (pp. 129-144).
Cette étude de la langue hugolienne montre qu’elle procède d’un cynisme visant à élever la voix du sujet contre toutes les formes d’autorité. Elle a été reprise dans L’Imaginaire littéraire (pp. 164-180).
« “ Fex urbis, lex orbis ” – la boue dans Les Misérables » (pp. 121-140), Figures, n° 16/17, 1er trim. 1996, « Imaginaires de la boue », Dijon, E.U.D.-C.R.I.S.M., 1996.
Cette étude part de l’idée que Hugo emprunte à Saint-Jérôme, selon laquelle la tourbe des villes fait la loi du monde (« fex urbis, lex orbis »). Elle recherche, à partir de là, les différentes lois que la boue impose au texte des Misérables. Il en ressort que celle-ci sert de modèle au poète pour penser aussi bien la société et ses évolutions que l’écriture romanesque.
« Le texte et l’espace dans La Fin de Satan », in Hommages à Suzanne Roth, Dijon, A.B.D.O., 1994 (pp. 213-225).
La cosmogonie de La Fin de Satan met en place les deux dimensions du châtiment : la verticalité et le temps. La coexistence dans ce poème de deux organisations de l’espace, l’une qui sépare monde terrestre et monde « Hors de la terre», l’autre qui situe le lieu du châtiment de Satan sous les glaces du Pôle Nord mais, paradoxalement, « Hors de la terre», témoigne bien de ce que, dans l’imaginaire hugolien, la cosmographie est contaminée par la métaphysique. Si « La Première page » autorise initialement la transition d’un monde à l’autre, c’est que, chez Hugo, la conception de la création littéraire est analogique de l’organisation métaphysique de l’espace : comme il y a le ciel entre les anges et l’homme, il y a le mage-poète entre l’idée et ce « Livre » cher au métalangage hugolien. La réciproque, bien sûr, est vraie : La Fin de Satan établit entre cosmographie et poétique une parfaite correspondance, qui fonde et légitime l’écriture cosmogonique.
sur alphonse daudet
« La dialectique des vents dans “ En Camargue ” et Le Trésor d’Arlatan – Sur l’imagination matérielle d’Alphonse Daudet » (pp. 239-248), Le Petit Chose, n° 90 / 3e série, 2e sem. 2003.
Dans son dernier récit, Le Trésor d’Arlatan, Alphonse Daudet reprend le décor et certains des personnages qu’évoquait une nouvelle des Lettres de mon moulin : « En Camargue ». Il dynamise alors sa représentation de l’espace camarguais en empruntant ses modèles iconiques à une véritable dialectique des vents : au mistral empreint d’infini et de pureté s’oppose « la vache de Faraman », un vent de Sud porteur de miasmes et de désirs fangeux. Le romancier se rapproche également du poète Mistral en s’inspirant du destin de Mireille pour narrer la mort tragique de Zia. Sa dialectique des vents, qui atteste la nature éolienne de son imagination matérielle, réalise ainsi la synthèse des deux principaux versants de sa création : le roman naturaliste et le conte provençal.
« Mensonge naturaliste et vérité myope – Poétique et vérité chez Alphonse Daudet » (pp. 311-327), Écritures XIX 1, « Alphonse Daudet pluriel et singulier », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2003.
Au naturalisme tel que le définit Zola, Daudet préfère une « vérité » proche de la vie. Celle-ci suppose le recours à l’imagination et à la fantaisie ; on la trouve au contact direct de la nature, à la « Bibliothèque des cigales », non dans les « documents humains » chers à l’auteur du Roman expérimental. Ce que Daudet reproche à la conception zolienne, ce sont les dérives auxquelles elle peut donner lieu ; il les met en scène à travers le roman vériste publié par Raymond Eudeline dans Soutien de famille. Cette autobiographie déformée par la cruauté est l’exact contraire du Petit Chose. La gentillesse est pour le sujet daudétien un principe poétique ; elle ne suffit toutefois pas à cerner la vérité. Pour cela, la myopie de Daudet impose un agrandissement de la réalité, que son imaginaire prête au partage des drames, au coudoiement de ceux qui deviendront des personnages romanesques, à une forme de compassion débouchant sur l’intériorisation du personnel diégétique. Les « yeux en dedans » du myope permettent seuls la véritable « invention », celle qui restitue le vécu ; mais cette posture expose le sujet à périr des souffrances qu’il peint.
« Symptômes africains d’Alphonse Daudet – Pathologie et poétique » (pp. 79-100), Les Carnets de l’Exotisme, n° 2, “ Afriques imaginées – Cerisy 1997 ”, Paris-Poitiers, Kailash-Le Torii, 2001.
L’Afrique n’est pour Daudet qu’un décor de théâtre, mais c’est aussi un décor qui va lui servir de modèle pour penser son tabès et la façon de le surmonter. Parallèlement, cette Afrique irréelle, proprement imaginaire, introduit une faille dans son programme naturaliste : elle est la source d’un idiolecte dont le principe, calqué sur celui de la galéjade chère à Tartarin, fait de la réalité un pur mirage, dénué de toute réalité. Ce mirage a pour fonction, dans la poétique daudétienne, de préserver le sujet contre l’hypersensibilité aux lieux qui détermine son écriture. La poétique du sujet oscille donc entre obsession sensible du réel et nécessité intime du mirage. Toutefois, le mirage n’est pas sans danger, car la réalité objective ne manque pas de se venger, parfois, du sujet qui la fuit. Dans l’œuvre, cette revanche s’incarne symboliquement dans la figure des sauterelles d’Afrique.
« Alphonse Daudet au phare des Sanguinaires – Esquisse d’une poétique du sujet », in Racault Jean-Michel (ed.), L’Aventure maritime, Paris, L’Harmattan, « Cahiers du CRLH-CRIAOI », 2000 (pp. 251-266).
Le phare des Sanguinaires est présent, à vingt-cinq ans de distance, dans Les Lettres de mon moulin et La Fédor. Analogique du moulin de Fontvieille, il symbolise le lieu d’où crée le sujet. Il doit ce statut à sa position géographique sur un groupe d’îlots « épars », qui favorise la constitution d’un autoportrait symbolique du sujet correspondant à une poétique de l’éparpillement. La loi de celle-ci est que la réalité n’est totalement approchable que par le rêve. Et le sujet daudétien joue son authentia, son statut d’auteur, sur une authentification de ce rêve par le lecteur. Le cours des fictions tient à ce que le rêve, chez Daudet, est toujours un mauvais rêve. Et ce mauvais rêve en vient à représenter l’œuvre elle-même, une œuvre décevante puisqu’elle repose sur un décalage entre le projet de peindre le monde d’après nature et la vérité d’une poétique essentiellement onirique. Cette déception s’exprime par l’image de la méduse échouée, qui n’est plus qu’un « crachat » sur le sable. Pour le sujet, le livre achevé est un réveil et un échouage parce que l’écriture est un rêve marin qui se traduit dans un idiolecte fondamentalement maritime.
sur le xviiie siècle
« Images du temps, pensée de l’histoire – Une introduction romantique » (pp. 3-31), Écritures XIX 2, « Images du temps, pensée de l’histoire », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2005.
Cette introduction à Écritures XIX, 2 dresse le panorama des images du temps en circulation chez les écrivains de la génération de 1830. Elle établit que le romantisme se caractérise globalement par une mise en tension de sa modernité et de l’éternité. Les mutations sociales, politiques et scientifiques propres à la première moitié du XIXe siècle déterminent une interrogation sur leur signification en termes de culture et de civilisation, qui, à la faveur de l’universalisme hérité des Lumières, débouche sur une prise en compte globale de l’histoire humaine. L’imaginaire romantique du temps et les pensées de l’histoire qui en découlent pourraient en fait se résumer à une volonté de cerner la situation d’un présent confus, troublé, dans la continuité historique que la Révolution et l’Empire viennent de briser. Le temps romantique est en quête d’orientation, et plus précisément même en quête de sens.
« Histoire naturelle et rêveries volcaniques chez Buffon et Bernardin de Saint-Pierre », in Bosquet Marie-Françoise et Sylvos Françoise (eds), L’Imaginaire du volcan, Rennes, PUR, « Interférences », 2005 (pp. 151-166).
Le volcan invite Buffon et Bernardin de Saint-Pierre à penser le temps et l’histoire selon deux schémas imaginaires distincts, l’un vectoriel, confrontant la puissance de l’homme à celle de la matière, l’autre cyclique et progressiste, entraînant une perfection esthétique croissante des spectacles de la nature. Si, chez tous deux, l’analogie des phénomènes telluriques et des orages atmosphériques fait du volcan un symbole de l’immanence divine, leurs perspectives diffèrent quant à la fonction dévolue à cette vérité sensible : le créateur de Buffon invite l’homme à la lutte, celui de Bernardin l’incline à l’adoration et à l’imitation. Pour le premier, la nature est une force à dompter, pour le second un modèle à méditer pour mieux comprendre le dessein de son auteur, s’y conformer pleinement et vivre de la sorte en harmonie avec la nature.
« Le Roi, son trône et le philosophe – Défense de l’imagination et procès des images au temps des Lumières » (pp. 61-75), Figures, n° 29, « Images du pouvoir, pouvoir des images », Dijon, E.U.D.-C.R.I.S.M., 2003.
La rupture des Lumières avec la métaphysique cartésienne induit une réhabilitation de l’imagination, nourrie par le sensualisme de Locke, dont témoigne l’article « Imagination, imaginer » rédigé par Voltaire pour l’Encyclopédie. Ce courant de pensée entraîne une prise de conscience de la manipulation politique du « peuple ignorant » par les images du pouvoir, notamment celles du monarque. Comme, dans ce contexte, la langue littéraire atteste l’existence d’une vérité des images, elle devient l’outil privilégié du procès en fausseté intenté à leur usage social. Deux extraits de Zadig et des Lettres Persanes montrent comment la langue littéraire s’impose très tôt comme un efficace contre-pouvoir de l’absolutisme ; mais l’alliance des Belles-Lettres et de la philosophie politique passe aussi, sous la plume du Chevalier de Jaucourt, par la ruse lexicographique qu’illustrent les articles « Roi » et « Trône » de l’Encyclopédie. Enfin, la parabole du roi vaincu, dans l’Émile, invite à ne pas confondre l’être et l’image. Il apparaît ainsi que la controverse politique des Lumières procède, pour partie du moins, d’un combat de la langue contre le pouvoir des images du pouvoir.
« Écriture du plaisir, plaisirs de l’écriture : Point de lendemain et La Nuit merveilleuse », in Claudon Francis et Bailly Bernard (eds), Vivant Denon – Colloque de Châlon-sur-Saône – 7 et 8 mai 2001, Châlon-sur-Saône, UTB & Ville de Châlon-sur-Saône, 2001 (pp. 199-214).
La Nuit merveilleuse, réécriture érotique et anonyme de Point de lendemain, accuse par son outrance les choix littéraires et philosophiques qui ont présidé à l’écriture de cette nouvelle. Elle permet de comprendre qu’avec Point de lendemain, Vivant Denon réduit le libertinage à l’érotisme et dénonce l’utilisation de la philosophie à des fins d’hypocrisie morale, qu’il se fait le chantre d’une vraie liberté des corps, en les affranchissant de tout discours, le partisan d’une écriture libertine débarrassée de toute prétention démonstrative. Cet abandon des visées collectives propres au libertinage éclairé fait de Vivant Denon un précurseur de l’égotisme, ce qui explique sans doute que son texte ait touché la jeunesse romantique, au point de le voir repris par Balzac dans La Physiologie du mariage.
« Mesure des siècles – L’Émergence du temps romantique dans les relations de voyages de Dominique Vivant Denon », in Claudon Francis et Bailly Bernard (eds), Vivant Denon – Colloque de Châlon-sur-Saône – 14 et 15 mai 1999, Châlon-sur-Saône, UTB & Ville de Châlon-sur-Saône, 1999 (pp. 161-177).
La comparaison du Voyage en Sicile et du Voyage dans la Haute et la Basse Égypte permet de voir naître historiquement quelques-unes des images-clés du romantisme. En effet, si Vivant Denon se révèle classique lors de son premier voyage, il participe clairement du premier romantisme dans l’écriture du second. Cette différence se manifeste par des conceptions du temps radicalement opposées : la chronologie du Voyage en Sicile est celle de la Bible de Port-Royal, tandis que l’Égypte invite à penser la nuit des temps. De même, en Égypte, Denon apprend-il à représenter l’espace en romantique, privilégiant le sentiment au détriment de la précision, exaltant le rôle de la nature dans les impressions que procurent les ruines et découvrant le goût de la mélancolie. Ainsi, sous la plume et le crayon du voyageur, naissent une temporalité et un monde en adéquation avec l’esthétique rousseauiste du futur empereur.
sur le romantisme
« Le Démon “ raconteur ” – Alexandre Dumas et le diable boiteux » (pp. 5-23), Écritures XIX 3, « Alexandre Dumas “ raconteur ” », Paris, Lettres Modernes Minard, « Revue des Lettres Modernes », 2005.
Dumas, de son propre aveu, n’a pas lu en entier Le Diable boiteux, mais il a fait la douloureuse expérience des pouvoirs d’Asmodée, lorsque maître Menesson s’amusa à transposer ses premiers déboires amoureux sous la forme d’un chapitre inédit du célèbre roman, dûment intégré à Mes Mémoires. Pour conjurer ce type de péril narcissique, le sujet dumasien s’identifie à la figure d’Asmodée et se fait raconteur (le terme est dans les Causeries) de l’histoire et de lui-même, ce qui est tout un puisque son autobiographie vise également à écrire une page de l’histoire de France. L’écriture du raconteur se propose pour objectif de rendre compte du drame écrit par Dieu, sous la forme d’un roman de mœurs historiques, qui s’inscrit dans le prolongement de la dramaturgie shakespearienne. Si elle prive l’écrivain de son autorité, elle le rapproche d’un lecteur assimilé à don Cléophas, auquel il dévoile l’intimité de ses personnages, en soulevant leurs toits dans un mouvement analogique du lever de rideau théâtral.
« Tombeaux de Chateaubriand – Méditations poétiques sur l’art et la mort », in Linon-Chipon Sophie et Guennoc Jean-François (eds), Transhumances divines – Récits de voyage et religion, Paris, PUPS, « Imago mundi », 2005 (pp. 243-257).
Le Voyage en Amérique et l’Itinéraire de Paris à Jérusalem témoignent d’une réflexion de Chateaubriand sur la mort et les rites funéraires étrangers, qui alimente l’imaginaire à l’œuvre dans sa poétique mémorialiste. Les Natchez emportant les os de leurs pères font émerger l’analogie de la littérature à un ossuaire et concevoir la spiritualité d’un art « meuble » qui attesterait l’unité nationale dans la tourmente de l’histoire. À la rédaction du Voyage en Amérique, il s’attache à recomposer son itinéraire intellectuel de jeune déiste en laissant croire que le spectacle des villes américaines, privées de tombeaux, lui avait inculqué la nécessité de l’esthétique religieuse, préfigurant ainsi les thèses du Génie, et assimilant l’écriture des Mémoires à l’art sacré. En Égypte, devant la pyramide de Chéops, Chateaubriand rompt avec les préjugés condamnant la vaniteuse démesure d’un édifice dans lequel il voit, au contraire, la prémonition des thèses chrétiennes sur l’immortalité de l’âme et le principe qui régira l’écriture des Mémoires : « vaincre le temps par un tombeau ». La visite aux cimetières de Modon lui offre l’occasion de préciser ses attentes à l’égard d’une publication posthume des Mémoires : c’est en garantir la parfaite sincérité. Enfin, chez un Tartare de Morée, le voyageur entre au Tartare, au pays des morts ; il se pose alors en pèlerin, car cette identité lui apparaît universellement reconnaissable. Paradoxalement, c’est en se faisant Croisé qu’il endosse une attitude religieuse propre à relier les hommes. Au fil de ses voyages, il est allé chercher les images qui nourrissent sa poétique.
« Les volcans romantiques et la marche du temps », in Bertrand Dominique (ed.), Nature et politique – Logique des métaphores telluriques, Clermont-Ferrand, PPF Volcans-Université Blaise-Pascal, « Volcaniques », 2005 (pp. 101-116).
Les peintures du Vésuve par Chateaubriand dans le Voyage en Italie et par Mme de Staël dans Corine sont marquées par une volonté de compenser l’horreur infernale du lieu par le spectacle de sa féconde beauté. L’esthétique résout ainsi les ambiguïtés de la création. Parallèlement, les ruines de Pompéi sont pour eux l’occasion d’une réflexion mélancolique sur l’éternel retour des catastrophes. Dans sa représentation du volcan, la perspective primo-romantique allie le parti-pris esthétique et spirituel au désarroi historique. Dans ses Nouvelles méditations, Lamartine entend quant à lui profiter du symbolisme cyclique pour renouer avec le bonheur qu’il a connu en Campanie ; mais vingt-cinq ans plus tard, dans Graziella, ce charme cyclique du volcan est rompu. Cette évolution témoigne d’une modification profonde des représentations conjointes du volcan et du temps : au grand dam de Nodier, pourfendeur de la « perfectibilité » dans le cycle du dériseur sensé, la génération de 1830 – par l’entremise de Michelet, Hugo ou Nerval – a imposé une image du volcan comme symbole de progrès mystique et politique.
« Féerie romanesque d’Alexandre Dumas – Une approche de la poétique du sujet », L’École des Lettres second cycle, n° 12, « Spécial Romantisme », 2004 (pp. 95-111).
Le résumé féerique des Trois mousquetaires placé au début de Vingt ans après témoigne d’une porosité du merveilleux et du romanesque dans l’écriture de Dumas. L’étude du cycle des mousquetaires montre que le sujet y résout le conflit de l’Histoire et de la féerie au profit du réalisme, jusqu’à faire périr ses personnages dans Le Vicomte de Bragelonne. Mais le deuil qu’il ressent à la mort de Porthos atteste sa difficulté à se résigner au triomphe du réel. Contemporain de Vingt ans après, qui marque la rupture avec la féerie, Le Comte de Monte-Cristo s’attache du reste à rétablir celle-ci dans toutes ces prérogatives. La poétique dumasienne oppose réalité et féerie autour du pivot thématique de la mort. Ses fictions romanesques oscillent entre ces deux pôles de son imaginaire, dont les chroniques historiques et autobiographiques, d’une part, les contes de fées de l’autre, constituent les productions les plus pures.
« Chasteté des “ Invisibles ” – Sur l’amour romantique dans Joseph Balsamo, Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt » (pp. 33-49), in Isabelle Casta (ed.), Le Chaste et l’obscène : un (re)nouveau romanesque ?, Paris, Publibook, 2004.
Joseph Balsamo met en scène les obstacles qui se dressent, au siècle des Lumières, contre l’émergence d’une nouvelle forme d’amour, opposée au libertinage ambiant et reposant sur la chasteté. L’amour d’abord chaste de Gilbert pour Andrée échoue en viol, victime pour partie de la morgue de la jeune-fille ; la virginité que Balsamo impose à sa femme, Lorenza, constitue quant à elle une forme d’oppression au nom de l’action politique, qui s’avère d’ailleurs inutile. La rupture avec l’obscénité ne suffit donc pas à installer l’amour romantique. Il faut pour cela une spiritualité supérieure. C’était le propos de Consuelo et de La Comtesse de Rudolstadt, auxquels Dumas emprunte le thème des “ Invisibles ”. Consuelo parvient à réaliser l’idéal amoureux défini dans Lélia au terme d’une initiation qui enseigne que la chasteté est la conséquence non pas de l’abstinence, mais d’un amour qui implique le partage des désirs et de la jouissance.
« Charles Nodier et l’écriture du cauchemar – Esquisse d’une poétique du sujet » (pp. 149-166), in Terramorsi Bernard (ed.), Le Cauchemar, Paris, Le Publieur-SEDES-Université de La Réunion, « Bibliothèque Universitaire & Francophone », 2003.
Nodier se lance dans l’écriture du cauchemar, en 1820, pour se placer dans la lignée de Byron et parce qu’il voit dans les thématiques vampirique et cauchemardesque – qui constituent deux figurations d’un même archétype – un sujet en vogue, capable de lui faire gagner dignement sa vie. Il le fait aussi parce qu’à la lecture du Giaour il avait trouvé, dans la représentation du vampire, une image lui assurant l’amour de sa fille Marie et la consommation d’un inceste symbolique. Du même coup, l’écriture du cauchemar est inséparable d’une culpabilité qui conduit Nodier à entretenir une relation conflictuelle avec le genre frénétique. Cela n’empêche pas l’ambition : dans la peau d’Odin, qu’il prétend traduire, il entend, avec Smarra, se faire le dieu d’une guerre pour le renouvellement des Lettres ; son principe : dire l’indicible, l’inédit même. Il compte sur le caractère contagieux de l’affection vampirique pour répandre sa littérature dans la population et se faire le chef de file de la nouvelle école. Quand, à son grand dam, Hugo lui ravira cette place, Nodier s’élèvera contre la facilité des systèmes pour plaider la vérité de son style et sa pureté, héritée des antiques. Revenant sur son image de traducteur, il en fait alors la marque de son travail d’auteur. Traduire, dans l’idiolecte nodiérien, c’est dire l’ineffable : transcrire non seulement le cauchemar, mais cette langue du rêve que la littérature a toujours échoué à restituer.
« “ Violance ” de Théophile Gautier ou les avatars d’Éros thanatophile », in Casta Isabelle (ed.), La Littérature dans les Ombres – Gaston Leroux, les œuvres noires, Paris, Lettres Modernes-Minard, « L’Icosathèque (20th) », n° 21, 2002 (pp. 129-160).
Cette étude s’intéresse à deux motifs de l’imaginaire gautiérien et à leur place dans la relation que le sujet entretient avec la langue. Le premier motif, c’est celui de la « violance » du regard : il se manifeste dans l’œuvre littéraire comme dans les récits de voyage par la récurrence d’un regard qui dispense une excitation sadique par le spectacle de la peur qu’engendre chez la morte une violation de sépulture analogique du viol. Ce motif tend à euphémiser la nécrophilie en amour rétrospectif, en thanatophilie. Un autre lui fait pendant, qui met en scène une relation proprement érotique avec la morte, avant de la clore par la révélation répugnante de sa dépouille : c’est le motif de la morte amoureuse, du nom de la nouvelle où il apparaît sous sa forme la plus pure. La complémentarité de ces motifs découle de deux conceptions opposées de la mort, respectivement héritées du paisible fatalisme oriental et des terreurs catholiques du sépulcre. La thanatophilie tient au moi oriental du sujet gautiérien. La mise en parallèle de Celle-ci et celle-là et de Spirite révèle par ailleurs une correspondance symbolique entre le classicisme et l’image de la belle morte, qui fait de la violance un acte visant l’alliance de la pureté classique et de la fougue romantique : dès lors, la poétique du sujet paraît procéder d’une érotisation du langage qui explique ses archaïsmes stylistiques.
« Critique génétique et poétique du sujet – la leçon des variantes », Lieux littéraires / La Revue, n° 3, « Écritures du Pouvoir et Pouvoirs de la Littérature – Dossier : la génétique littéraire », Montpellier, Université Paul-Valéry-Montpellier-III, 2001 (pp. 353-377).
Cet article définit et illustre, à travers quatre exemples, les principes de dynamique et de contextualité qui président à l’approche de la génétique textuelle par la poétique du sujet. On y voit que Hugo a changé le titre de Petites Épopées en Légende des siècles tant en fonction d’un contexte interne, tenant à l’amplification de son propos, que d’un contexte externe, touchant à la critique du romantisme par Leconte de Lisle. La variante du nom du personnage principal d’Armance conduit à stipuler l’existence de deux régimes de la création, l’un intime, réglé par le rapport du sujet à l’écriture, l’autre public, qui contraint le narcissisme à prendre compte le regard du lecteur. La modification que Jules Verne, à la demande d’Hetzel, apporte à la fin d’Hatteras manifeste le fonctionnement, dans son imaginaire, d’un paradigme instituant une équivalence de la mort et de la folie – c’est ce paradigme que la génétique ouvre à la poétique. Enfin, l’analyse des leçons d’« El Desdichado » témoigne de ce que le sujet nervalien se construit sur la base de lectures alimentant une imagination chargée d’édifier l’image du moi par le biais de la réécriture. Elle montre aussi que l’écriture nervalienne procède par une ouverture progressive du sens, dont le but est de favoriser, à son tour, la rêverie du lecteur afin de lui permettre de prolonger l’acte créateur.
« Poétiques à l’épreuve – Balzac, Nerval, Hugo », Romantisme, n° 105, 3e trim. 1999, « L’Imaginaire photographique » (pp. 57-70).
En bouleversant son rapport à l’image de soi comme à celle du monde, la confrontation du créateur avec la photographie peut affecter sa démarche et sa posture créatrices – sa poétique. Parce que le daguerréotype lui paraît fixer le spectre invisible de la réalité, Balzac voit dans cette invention la démonstration de sa métaphysique et son double mécanique ; en 1842, alors que naît La Comédie humaine, il vient devant l’objectif des frères Bisson incarner sa philosophie de la création. Sur son portrait gravé d’après un daguerréotype, Nerval se découvre un nouvel avatar mythologique, celui de Prométhée aux Enfers, qu’il expose dans Pandora puis Aurélia, et immortalise sur le fauteuil de Nadar. Enfin, c’est un cliché réalisé par son fils qui révèle à Hugo son identité de poète apocalyptique.
sur la période 1850-1914
« Destins d’une relique – Réalité sociale et roman policier chez Stevenson et Doyle », in Ménégaldo Gilles et Naugrette Jean-Pierre (eds), R.-L. Stevenson et A. Conan Doyle, Aventures de la fiction – Actes du colloque de Cerisy, Rennes, Terre de brume, « Terres fantastiques », 2003 (pp. 165-187).
Les variations que Stevenson et Doyle font subir au destin de la Pierre de Lune de Wilkie Collins témoignent des premiers flottements de l’écriture policière dans son rapport à l’aventure fantastique et à la peinture réaliste de la société britannique. Il en ressort que l’assomption du roman policier chez Conan Doyle correspond à une rupture avec l’idéalisation esthétique et aventureuse de la crapule diffusée par Stevenson. Elle procède, pour ainsi dire, d’une laïcisation du crime et de sa progressive intégration à la réalité sociale anglaise. De Pierre de Lune au Diamant du rajah puis au Signe des Quatre, le destin de cette relique hindoue qu’est le joyau de Wilkie Collins témoigne de la lente naturalisation britannique que le Mal a dû subir pour donner naissance au réalisme policier. Il s’accompagne d’une démystification du fantastique, voire d’une démythification du merveilleux, qui relègue l’étrangeté au rayon des accessoires romanesques de la pratique délictueuse. C’est en s’imprégnant de vraisemblance que le vol et son cortège de méfaits ont déplacé le centre de gravité du récit de l’aventure sensationnelle vers l’enquête rationnelle.
« Ah ! Qui m’ôtera cette âme de ce corps ! » L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam », in Cohen-Boulakia Claude et Gorot Jacques (eds), Corps, âme, esprit – Colloque de Cerisy, Paris, EDK, 2000 (pp. 31-43).
Il s’agit d’abord de comprendre au prix de quelle ruse philosophique, fortement teintée d’ironie misogyne, Edison prétend pouvoir ôter du corps parfait d’Alicia Clary son âme triviale. L’opération, qui passe par la création de l’Andréide, se donne comme une réfutation de l’illusion romantique d’une correspondance possible entre le corps et l’âme. Pour Edison, l’âme seule donne la beauté et, pour estimer l’âme d’une femme, il suffit de constater ses effets sur l’homme qui l’aime, car les « infâmes », celles qui n’ont pas d’âme, font la ruine de leurs amants. En fait même, l’âme féminine n’est guère qu’une projection de celle de l’homme ; c’est pourquoi l’Andréide peut avantageusement remplacer une femme de chair. Ainsi Villiers substitue-t-il à la Phénoménologie de l’esprit de Hegel une phénoménologie romanesque de l’amour. Au dénouement toutefois, le mystère de l’âme reprend toute sa place avec la révélation du rôle joué par la médium Sowana.
Par ailleurs, la philosophie et la science d’Edison structurent l’écriture de L’Ève future. D’une part, sa conception « électrodialectique » de l’âme détermine un style reposant sur l’oxymore qui manifeste l’attirance des contraires. De l’autre, le terme de « cliché », par lequel il désigne tout son travail de reproduction, d’enregistrement du corps, de la voix, des expressions et des mouvements, induit une diégèse qui fait la part belle aux clichés de l’amour romantique. À l’instar d’Edison, Villiers se venge des femmes ; à travers Hadaly, le comte de l’Isle-Adam s’invente une Ève répondant enfin à ses vœux.
« Poétique du désir frustré – Le Grand Meaulnes et la femme imaginaire », in Buisine Alain et Herzfeld Claude (eds), Mystères d’Alain-Fournier – Colloque de Cerisy, Paris, Nizet, 1999 (pp. 29-50).
Le sujet fourniérien entretient une constante confusion de la vie et du conte, à laquelle il assigne pour fonction de faire pardonner ses travers ; aussi, l’écriture du Grand Meaulnes est-elle organisée comme une habile confession. Elle procède, par ailleurs, d’une topographie qui ne peut retrouver le charme de l’enfance qu’en l’épuisant ; c’est pourquoi elle est fondamentalement nostalgique. Plus profondément, il s’avère que décrire un pays, c’est pour le sujet décrire une femme. L’espace et le temps romanesques découlent d’une rêverie sur « Le corps de la femme », titre de la première nouvelle publiée par Alain-Fournier.
Nourri de Partage de Midi et de La Porte étroite, Alain-Fournier entend construire une fiction qui peigne l’avènement de la Joie par le renoncement à cette femme, si bien qu’en définitive c’est l’écriture elle-même qui vient se substituer à la sensualité : la recherche stylistique, imaginée en termes de caresse, se charge de combler la frustration physique née de cette quête qui, seule, peut préserver l’enfance. Mais la correspondance d’Alain-Fournier montre qu’au fur et à mesure de l’avancement du roman, l’écriture échoue de plus en plus à assurer cette fonction de compensation. Aussi, tandis que la chair reprend ses droits, l’écrivain se hâte-t-il d’en finir pour pouvoir renouveler l’opération avec un nouveau roman, placé sous le signe de la blancheur : Colombe Blanchet. Le Grand Meaulnes est un livre fondamentalement coupable ; la création fourniérienne est animée par une dialectique du désir et du renoncement.
« Splendeurs et misères de l’adaptation », in Montaclair Florent (ed.), Roman-Feuilleton et théâtre, l’adaptation du roman-feuilleton au théâtre – Colloque de Cerisy-la-Salle, Besançon, Presses du Centre UNESCO, 1999 (pp. 305-327).
Ce travail se propose d’observer la manière dont divers écrivains (Gautier, Flaubert, Daudet, les frères Goncourt, Dumas fils, Verne et Zola) conçoivent l’adaptation de leurs romans au théâtre. C’est aussi l’occasion d’étudier, d’une part, quel regard ils portent sur le théâtre et les spécificités qu’engendre sa fonction sociale, de l’autre la manière dont ils considèrent son personnel, notamment les spécialistes de l’adaptation, tel Adolphe Dennery. Au total, il en ressort que l’adaptation est pour tous une pratique maligne, « une forme de divertissement, qui attire le romancier vers les sphères du mondain, du spectacle et du lucre ». Cette pratique tâche, certes, à perpétuer le prestige ancien du théâtre, mais elle souligne en fait l’hégémonie du genre romanesque sur la littérature réaliste et naturaliste.
« », Revue des Sciences Humaines, tome LXXXXV, n° 219, 1990-3, « L’Écrivain chez son Éditeur », textes recueillis par Alain Buisine et Jean-Yves Mollier (pp. 35-51).
Cette étude vise à dégager les attentes de Baudelaire en matière d’édition. D’abord, il s’agit pour lui d’une véritable quête amoureuse : Baudelaire publie pour se faire aimer. Cela le conduit à imaginer l’édition comme une double prostitution, du lecteur et de lui-même ; mais, tandis que la prostitution du lecteur lui apparaît comme un acte de générosité, il conçoit la sienne comme une indécence, rachetée par la spiritualité qui se dégage de la transmutation esthétique à laquelle elle donne lieu. Dans ce cadre, le travail de traducteur est un moyen plus aisé que la production poétique de s’attirer l’amour des lecteurs en détournant celui qu’ils adressent à de Quincey ou Poe, auxquels Baudelaire prend soin de s’identifier pleinement. L’éditeur, à ses yeux, n’est pas un commerçant, mais un premier amoureux, chargé de lui en attirer d’autres. C’est pourquoi il multiplie les lieux de prépublication de ses poèmes : il faut atteindre le public le plus large possible. Sur la fin, toutefois, il s’évertue à regrouper son œuvre chez un même éditeur, pour en faire ressortir la cohérence. Ce double mouvement répond aux deux aspirations du moi exposées dans Mon cœur mis à nu : démon de la dissipation et tentation vertueuse de la concentration. Cette stratégie éditoriale constitue un véritable autoportrait spirituel : éditer, pour Baudelaire, revient à se peindre, à paraître. C’est sacrifier, en parfait dandy, au culte de soi-même.
poétique de l’objet
« Les Enchantements de Londres – Écriture féerique et espace urbain chez J.-M. Barrie, C. Dickens, C. S. Lewis, P. L. Travers, E. Nesbit et J. K. Rowling » (pp. 141-162), Crée !, n° 1, « Écritures de la ville », Paris, Kimé, 2006.
L’introduction progressive du décor londonien dans les féeries anglo-saxonnes illustre un renouvellement de l’articulation du merveilleux à l’espace référentiel. Chez Barrie, le pittoresque urbain est exploité dans un sens déceptif, il apparaît mortifère tandis que la nature demeure le terrain de prédilection de la féerie. Il en va de même, peu ou prou, dans les premiers récits publiés par Lewis, mais l’introduction au cycle de Narnia modifie la donne en mêlant référentialité et intertextualité. Lewis se situe alors dans la filiation de Nesbit qui, au début du siècle, avait rompu avec la tradition d’abstraction édificatrice à laquelle se conformait encore la représentation de la capitale dans le Christmas Carol de Dickens, pour opérer, sous le signe du jeu, la synthèse du conte merveilleux et du roman d’aventures. C’est ce courant qui, de Travers à Rowling, a introduit le merveilleux dans la ville tout en respectant le principe d’autarcie spatiale qui régit l’élaboration des mondes enchantés.
« Rêveries irisées – Contribution à une poétique de la forme et des couleurs », Figures, n° 20, « L’Arc-en-ciel », Dijon, E.U.D.-C.R.I.S.M., 2000 (pp. 81-104).
Cette étude de poétique de l’objet établit que les images de l’arc-en-ciel s’orientent dans un sens religieux si l’imagination privilégie la forme du météore, tandis qu’elles procèdent à une déréalisation de l’espace si, au contraire, la primauté est donnée à ses couleurs. Le texte a été repris et corrigé dans L’Imaginaire littéraire (pp. 147-164).
« Préface – la boue dans l’imaginaire » (pp. 3-19), Figures, n° 16/17, 1er trim. 1996, « Imaginaires de la boue », Dijon, E.U.D.-C.R.I.S.M., 1996.
Cette préface des Imaginaires de la boue analyse la figure du dieu-potier avant d’en venir à son utilisation comme imageant de la création poétique. Elle établit que Baudelaire, après l’édition originale des Fleurs du Mal, se démarque de Gautier en substituant à la métaphore du poète sculpteur celle d’un poète alchimiste, transfigurant la boue en or. Cette évolution tient à une conception de la modernité, inspirée de Méryon, Guys et Balzac, qui oriente la poésie à la fois vers la boue de la ville et versune prose qui serait mieux à même d’en rendre compte. Cette évolution culmine chez Ponge, où la réfutation du mythe du dieu-potier débouche sur une conception de la boue comme ennemie des formes, qui incite le poète au silence, à l’inachèvement, encore plus qu’à la prose.
« La Rêverie de l’intimité volcanique – Contribution à une poétique du feu (Verne, Bachelard, Hergé, Saint-Exupéry) », Figures, n° 15, 3e trim. 1995, « Les Feux de l’Aventure », Dijon, E.U.D.-C.R.I.S.M., 1995 (pp. 101-120).
Le réseau des images attachées à la domestication du volcan, que l’on trouve dans Hector Servadac de Verne comme dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry, prend le contrepied du complexe d’Empédocle défini par Bachelard, et fait rêver d’une mort douce favorisant la foi en métempsychose, d’une mort qui s’oppose à la transfiguration cosmique du philosophe d’Agrigente. Ce texte a été repris dans L’Imaginaire littéraire (pp. 48-56).