Le redistricting aux Etats-Unis : l'ambivalence des conditions d'accès à la citoyenneté

Territoire, politique et recensement




Dans un Etat fédéral comme les Etats-Unis, délimiter les frontières des comtés relève de la responsabilité de l'Etat. La superficie du comté varie d'un Etat à un autre mais elle peut aussi ne pas être la même pour l'ensemble des comtés de l'Etat. Compte tenu du faible peuplement de leur territoire au moment de leur institution­nalisation, les Etats fédérés ont distingué (1) les territoires non-incorporés (souvent d'ailleurs terres agricoles) dont l'organisation relève du Board of Supervisors (comité des élus du comté) (2) des territoires incorporés, les municipalités, disposant d'un conseil municipal et d'un maire élus. Mais tout territoire non-incorporé est susceptible d'évoluer et peut ainsi obtenir le statut d'« incorporated city » dès qu'il peut justifier d'un nombre suffisant d'habitants. Une ville comme Los Angeles qui comptait 1.600 habitants en 1850

– lors de l'intégration de la Californie dans la fédération – a aussitôt acquis le statut de municipalité alors que la plupart des municipalités actuelles du comté de Los Angeles comme Pasadena, Long Beach, Monterey Park et Santa Monica n'ont été incorporées qu'à la suite d'une mobilisation politique de leurs habitants et d'un référendum local. Toute l'histoire urbaine américaine ou encore l'urbanisation de la société américaine s'inscrit dans ces deux processus que sont l'annexion territoriale au profit généralement de la ville principale (ville centre) ou encore l'incorporation qui concerne principalement les territoires suburbains et périphé­riques[1]. New York symbolise mieux que n'importe quelle autre ville le principe de l'annexion puisqu'elle a réussi à fédérer en 1898 cinq boroughs – dont celui de Brooklyn, municipalité se situant au 3e rang des villes américaines de l'époque. Dans le comté de Los Angeles, West Hollywood, un territoire urbanisé à proximité de Hollywood, a pendant longtemps été « unincorporated area » avant d'accéder au statut de municipalité en 1984.

La mobilisation politique en faveur des droits civiques dans les années 1950-60 s'est traduite par l'adoption d'un arsenal juridique autorisant les Noirs à participer à la vie politique à tous les niveaux de l'organisation territoriale. Mais si une décennie plus tard, une meilleure prise en compte des Noirs dans la société américaine pouvait a priori être considérée comme un fait acquis, certains n'ont pas hésité à critiquer la faible – pour ne pas dire inexistante – présence de Noirs à des postes de responsabilités, que ce soit au niveau local ou national. L'amendement du Voting Rights Act de 1982 et plus précisément la Section 2 favorisant la promotion et l'émergence d'élus noirs mais aussi de minorités comme les Hispaniques, au niveau des conseils municipaux, des législatures d'Etats et du Congrès a résulté de cette prise de conscience. Il prévoit en effet que les grandes villes seraient soumises à des procédures de redécoupage des circonscriptions électorales intitulées « redistricting », toutes les fois que les résultats du recensement indiquent une augmentation sensible d'une minorité ethnique donnée[2]. Mais si les intentions du redistricting sont louables, la procédure telle qu'elle a pu être observée à Los Angeles démontre aussi les limites d'une citoyenneté dont l'exercice local reposerait sur le principe de la spatialisation de ce qu'il est convenu d'appeler (après les politologues américains) la politique ethnique (Ethnic Politics). Des conditions d'accès à la représentation politique reposant sur le principe de la ségrégation et de son renforcement s'avèrent en fait ambivalentes et vont à l'encontre de la définition même de la ville, territoire par excellence de la diversité sociale, raciale, culturelle et religieuse. Le redistricting est ici analysé au travers de l'expérience de Los Angeles, une ville qui ne s'est jamais vraiment définie comme une entité melting-pot, à l'instar de New York, et qui depuis la fin de la décennie 1960, réalise que son destin est désormais pluri-ethnique[3].

 

La minorité se pense en dehors de tout référent spatial

 

Le terme de minorité, dans la première moitié du XXe siècle, sert à identifier tout groupe d'individus se différenciant sur le plan religieux, culturel, linguistique ou encore racial du groupe dominant tout en lui étant subordonné. Il désignait alors l'ensemble des immigrés européens ainsi que les Noirs. Mais cette définition du terme fut abandonnée, dès les années 1950, parallè­lement à la fin de la suprématie de l'idéologie de l'assimilation ou encore du melting-pot pour être associée aux Noirs. Ces derniers se sont alors définis comme une catégorie ethnique et raciale, soit la minorité qui, au cours de son histoire américaine, a été victime du racisme et n'a pas bénéficié d'une situation équivalente à celle des immigrés européens, qualifiés de White Ethnic et distincte de l'élite WASP (White Anglo-Saxon Protestant)[4].

Ce nouveau sens donné à l'usage du terme minorité a résulté de la mobilisation en faveur des droits civiques des Noirs, perçue comme un des moments les plus riches de l'histoire américaine[5]. Il s'agissait en fait d'inclure dans le rêve américain (American dream) les Noirs qui jusqu'ici n'avaient pas bénéficié de l'expérience historique du pays qui se voulait émancipatrice de l'individu, le libérant de tout lien communautaire – une vision d'ailleurs parta­gée par les pauvres comme par les riches. La mobilisation politique qu'entraîna la prise de conscience de la discrimination à l'égard des Noirs, atteignit son apogée au milieu de la décennie 1960 et réussit par une série de lois votées par le Congrès à remettre en cause le célèbre arrêt de la Cour Suprême de 1896, « Plessy vs. Ferguson » qui proclamait certes l'égalité des Noirs face aux Blancs, mais maintenait les premiers dans la ségrégation. Le président Johnson dans son discours à la suite du vote par le Congrès du Voting Rights Act de 1965 n'hésita pas à reprendre la célèbre expression du pasteur Martin Luther Kink Jr., « we shall overcome » pour signifier le profond désir des Américains et de l'Etat fédéral de dépasser le conflit latent qui, jusqu'ici, avait séparé les Blancs des Noirs[6].

Les lois votées par le Congrès entre 1962 et 1965 ainsi que les décisions prises par les différentes cours suprêmes – comme celle du Kansas qui, en 1954, déclara que dans l'éducation publique le principe de « séparé mais égal » devait disparaître –, témoignaient de la prise de conscience d'une société qui admettait et reconnaissait qu'elle n'avait pas traité les Noirs de la même manière que l'ensemble des immigrés. Les programmes de l'« Affirmative Action » avaient pour ambition de réparer ce tort à l'égard des victimes. Trois jours après le vote du VRA, le président Johnson créa le ministère du logement et du développement urbain (Department of Housing and Urban Development) et désigna pour le présider, Robert Weaver, un expert noir sur les questions de discrimination résidentielle. Cette décision se voulait une réponse explicite à une revendication de la majorité des Noirs en faveur du démantèlement du ghetto[7] :

Until the Harlem and racial ghettos of our nation are destroyed and the Negro is brought into the mainstream of American life, our beloved nation will be on the verge of being plunged into the abyss of social disruption.

Mais alors que Noirs et Blancs revendiquaient les droits civiques en faveur des Noirs, les Hispaniques étaient absents de la scène politique. Les Mexicains-Américains (= la majorité des Hispaniques) furent les premiers à s'organiser et à manifester pour bien signifier la différence profonde entre la culture mexicaine-américaine et la culture anglo-américaine et ils choisirent de se définir en tant que minorité. Ils ont créé la National Organization for Mexican-American Services (NOMAS), devenue plus tard Council of la Raza pour militer au niveau du Congrès en vue d'inclure les Hispaniques au même titre que les Noirs dans l'arsenal juridique des droits civiques. L'amendement du VRA en 1975 a ainsi reconnu et défini les Hispaniques en tant que « minorité » et a même exigé l'usage de bulletins de vote bilingues dans les arrondissements où plus de 5% de la population était d'origine hispanique[8].

Les Hispaniques (dénommés aussi Latinos) ayant compris que les WASP ne les considéraient pas comme des Blancs, ont ainsi choisi de se qualifier en tant que minorité afin d'améliorer leur statut politique et leurs conditions économiques. Les Noirs ont aussi cessé d'assurer seuls le leadership d'un mouvement en faveur des droits civiques pour devenir les « senior partners » d'une coalition de minorités. Aussi la scène politique locale n'a cessé de se complexifier au fil des ans, parallèlement aux mutations de la population des villes. A Los Angeles, le pouvoir du maire noir, Thomas Bradley, a reposé, au cours des vingt ans de son règne (1973-1993), sur le principe d'une entente biraciale (Blancs et Noirs) mais cette politique n'a pas tardé à montrer ses limites en raison de la négligence portée à la minorité hispanique en pleine croissance démographique. Le contexte était donc propice aux émeutes de South Central en 1992 qui ont mis en scène des Noirs et des Hispaniques issus de flux migratoires récents ont souligné l'impératif d'une politique de coalition multiraciale[9].

La rhétorique des droits civiques qui, tout au long des décennies 1950 et 1960, a consisté à permettre et à renforcer la participation des Noirs à la vie politique, a intégré au milieu de la décennie 1970, les Hispaniques avant d'inclure une clause spatiale en faveur des minorités en 1982. Dans les grandes villes amé­ricaines, l'avènement d'un élu appartenant à une minorité ethnique exige désormais la construction préalable d'un territoire politique ethnique.

 

Le redistricting ou la spatialisation du fait ethnique

 

Avec l'amendement porté au VRA en 1982, toute muni­cipalité qui, à la suite du recensement, enregistre une croissance démographique signifiante de l'une de ses minorités, se doit de remanier les limites de ses circonscriptions électorales (arron­dissements) dans le but de permettre à la dite minorité d'être représentée au niveau du conseil municipal par un élu. Cette clause spatiale résultait du constat suivant : les minorités ethniques avaient certainement amélioré leurs conditions de participation à la vie politique mais elles n'étaient pas encore bien représentées dans le cercle des élus. Les grandes villes furent ainsi soumises à la procédure du redistricting exigeant le concours de géographes, de démographes et d'informaticiens tout en reposant sur un certain nombre d'arbitrages politiques[10].

Après avoir fait le constat de la croissance démographique d'une minorité, le maire et le conseil municipal prennent la décision de lancer la procédure du redistricting. Il revient alors aux professionnels de répertorier et de rassembler les données démo­graphiques par îlot de recensement (« census tract ») et de délimiter un territoire plus ou moins homogène où la dite minorité serait en fait majoritaire. Il s'agit de faire coïncider minorité et territoire et de démontrer que le territoire ainsi construit détient une majorité ethnique/raciale en mesure d'être représentée au conseil municipal. La tâche consiste à s'assurer de la constitution d'une majorité ethnique/raciale sur un territoire donné mais surtout d'une majorité en mesure de voter. En effet, les territoires urbains ayant enregistré une forte expansion démographique sont souvent ceux qui d'une part détiennent un grand nombre de récents immigrés (par définition exclus du vote) et d'autre part se caractérisent par une pyramide des âges présentant une base importante de jeunes n'ayant pas l'âge de voter. A ces deux critères purement objectifs s'ajoute un troisième plus difficile à cerner, le comportement électoral des individus au sein de chaque communauté. De récentes études de sciences sociales ont en effet démontré que les minorités ethniques/raciales ne se comportent pas comme la majorité « White Ethnic » et qu'elles ont tendance à ne pas user de la même manière de leur droit de vote. En d'autres termes, le degré d'abstention serait plus fréquent au sein des minorités ethniques. La prise en compte de ce troisième critère difficile à cerner et à quantifier exige en fait de la procédure du redistricting qu'elle s'accompagne d'arbitrages politiques.

Los Angeles fut attaquée en justice par des juges fédéraux en 1983 parce qu'un quart de sa population était hispanique et que seul un élu sur les quinze conseillers municipaux était hispanique. Los Angeles, en tant que ville « majority-minority city » ne détient aucune majorité ethnique : les Hispaniques représentent 39,9% de la population contre 37,5% pour les Blancs et 9,9% pour les Asiatiques alors qu'en 1970, 61,6% de la population était blanche[11]. Sous la pression d'associations de défense des droits civiques, « Mexican-American Legal Defense and Education Fund » (Maldeff) et « California for Fair Representation » (CFFR) – qui n'ont pas hésité à faire du lobbying auprès de l'administration fédérale –, la ville fut contrainte d'initier le redistricting. Un nouveau découpage territorial fut présenté en 1986 par Richard Alatorre (l'unique élu hispanique), qui se vantait d'avoir réussi à créer un deuxième arrondissement comprenant une majorité hispanique en mesure de voter. Ce plan présentait toutefois l'inconvénient de remettre en cause l'arrondissement de Hollywood qui, à l'époque, était détenu par Michael Woo, le premier conseiller chinois de la ville (élu en 1985). Hollywood n'était pas, à proprement parler un quartier asiatique, mais Woo avait réussi à construire une coalition politique regroupant des Asiatiques et des communautés relevant de la White Ethnic. Alatorre s'était donc arrangé pour ne pas redessiner les territoires des élus blancs (10) et des élus noirs (3).

Après les Hispaniques, ce fut au tour de la communauté asiatique de se mobiliser et de faire pression auprès de l'ensemble des élus de Los Angeles qui refusèrent alors d'adopter le plan d'Alatorre. La procédure du redistricting dut se poursuivre. Elle bénéficia au cours de l'été 1986 de la disparition d'un conseiller municipal blanc, Howard Finn, décédé sans héritier politique. Son arrondissement fut remanié et Los Angeles réussit à se doter d'un second arrondissement hispanique (14) susceptible de lui fournir deux conseillers municipaux hispaniques[12]. Cette procédure qui s'est déroulée en plusieurs phases réparties sur quatre ans a été à l'origine de nombreuses tensions entre les différentes communautés qui pouvaient aisément laisser présager de la violence des émeutes de 1992.

L'expérience du redistricting à Los Angeles démontre comment les « libéraux » (la gauche) ont cessé de considérer la ségrégation spatiale fondée sur l'appartenance à une race ou une ethnie comme un élément négatif de la ville. Ils se sont en fait appuyés sur cette ségrégation pour enclencher une nouvelle dynamique politique. Mais le redistricting a également fait prendre conscience aux Noirs vivant dans les ghettos (comme à South Central) de l'instabilité politique dans laquelle ils se retrouvent depuis le départ de la classe moyenne noire pour les banlieues et l'arrivée massive d'immigrés hispaniques. Dans l'arrondissement 8 incluant une partie du ghetto de South Central, les Noirs ne représentent plus que 63% de la population totale (contre 95% il y a vingt ans) mais 89% des citoyens inscrits sur les listes électorales (« registered voters »). Pour les Hispaniques ces chiffres sont respectivement 31% et 3%. Cette situation présente le désavantage d'affaiblir sérieusement le poids du conseiller municipal qui n'est plus élu qu'avec 6.000 voix alors que son collègue d'un arron­dissement blanc dispose de 25.000 voix[13.

Le redistricting part du principe que l'émergence d'un territoire ethnique garantit la légitimité politique de cette minorité et sa participation dans la vie politique. Doit-on l'interpréter dans ce sens et en déduire qu'il participe d'un renforcement de la démocratie? Comment justifier de sa légitimité?

 

Les limites du redistricting

 

Le redistricting, la clause spatiale de l'amendement porté au Voting Rights Act de 1982, renforce plus qu'elle ne le démontre la rivalité politique entre l'ancienne minorité (les Noirs) et les récentes minorités ethniques (les Hispaniques et les Asiatiques) dont le poids démographique s'accroît au fur et à mesure de l'arrivée des flux migratoires. Cette rivalité qui s'exprime sur le marché du travail, dans les fonctions publiques et dans les universités, s'appuie également sur l'impératif d'une certaine appropriation du territoire, un principe que les Hispaniques (notamment les Mexicains-Américains) sont (bien entendu) loin de récuser. Peut-on pour autant en déduire que le redécoupage du territoire municipal, à l'occasion du redistricting, demeure la seule voix susceptible de permettre à un plus grand nombre de minorités de participer de manière activement à la vie politique?

La procédure du redistricting témoigne en fait de la crise du melting-pot de la société américaine et d'une perte de confiance en soi de l'Amérique : ce qui a réussi pour les immigrés d'origine européenne (le credo américain de l'égalité des chances et de la démocratie) semble presqu'impossible pour les nouvelles vagues d'immigration issues du tiers-monde et de l'Amérique latine. D'où le déclin de l'idéologie de l'assimilation au profit du multi­culturalisme. Mais ce multiculturalisme qui veut éliminer toute idée de supériorité d'une culture par rapport à une autre, présente l'inconvénient d'enfermer les individus dans leur groupe de référence, c'est-à-dire le groupe défini et déterminé par des caractéristiques physiques (couleur de la peau, aspect de la chevelure...)[14]. On passe ainsi de la protection des droits et des acquis des minorités à la revendication et protection d'un territoire. C'est d'ailleurs ce combat auquel se livrent les Noirs des ghettos qui se sentent envahis par les immigrés récents. La lutte contre la discrimination se transforme en primat des groupes sur l'individu et, en outre, elle conduit à nier toute idée d'un espace commun entre les différents individus et les différentes populations. L'essence même de ce qui fait la ville d'après la tradition européenne, soit l'espace public, lieu de rencontres des individus de classes et d'origines différentes dans l'anonymat disparaît[15].

La société urbaine américaine se caractérise de plus en plus par sa segmentation. Elle se présente comme un ensemble hétéroclite de minorités dont la protection est devenue l'essentiel de la vie politique. Toute idée de ville, de société ou encore d'action collective au sein de la démocratie semble disparaître au profit d'une démocratie des droits de minorités enracinés dans un territoire. Le redistricting présente le risque de conduire à une certaine forme de déterminisme territorial où les décisions ne relèvent même plus du politique mais du juridique. La redéfinition des circonscriptions électorales est en fait constamment soumise au pouvoir judiciaire pour lequel le respect de la procédure importe plus que les arguments en faveur de l'émergence d'un territoire défini par ses qualités intrinsèques. Il y a ici une survalorisation du juridique et du juge au détriment d'une décision politique issue d'un débat public.

Le redistricting qui assigne tout compte fait une minorité sur un territoire part certainement d'un bonne intention, « permettre aux minorités d'avoir accès au pouvoir politique » mais ne facilite pas pour autant l'accès de l'individu à l'exercice de la citoyenneté. La critique du redécoupage territorial comme outil d'une terri­torialisation du fait ethnique ne peut être véritablement considérée comme une avancée de la vie démocratique à l'heure où la métropole a remplacé la ville comme cadre de la vie économique et où la concentration de la pauvreté concerne certains quartiers de la ville centre (inner-cities) qui par ailleurs accueillent des flux migratoires. La dynamique économique concerne en fait essen­tiellement les banlieues et les périphéries où vivent les individus branchés sur les réseaux économiques et sociaux. Dans ce contexte, la priorité serait de permettre aux pauvres de ces quartiers de la ville d'accéder aux zones d'emplois et si possible de se rapprocher de ces zones d'emplois, ce qui signifie déménager. D'éminents chercheurs prônent la mise en œuvre de politiques publiques favorisant la suburbanisation des minorités ethniques pour éviter toute territorialisation du phénomène de l'underclass. Ceci aurait pour objectif de diminuer les disparités spatiales entre la ville et les banlieues tout en ouvrant de nouvelles perspectives[16]. Promouvoir de telles politiques exige la réinvention d'une culture civique partagée par l'ensemble des habitants afin de se donner les moyens de faire société[17].

 

Cynthia Ghorra-Gobin[18]




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[1] Pour plus de détails sur l'incorporation sur le plan juridique et historique cf. C. Ghorra-Gobin « Le processus de l'incorporation aux Etats-Unis ou l'émergence d'une identité sociale », in L'Etat et les Stratégies du Territoire, sous la direction de H. Théry. Paris : CNRS, 1991, p. 149-153 ainsi que « Le Territoire non-incorporé aux Etats-Unis », Revue Française d'Etudes Américaines #48-49, Avril-Juillet 1991, p. 63-70.

[2] La procédure du redistricting ne concerne que les grandes villes dans la mesure où les conseillers municipaux représentent les habitants d'un arrondissement alors que dans les moyennes et petites villes, la vote d'un conseiller municipal n'est pas lié à une circonscription.

[3] Sur le contexte de New York cf. N. Glazer et D.P. Moynihan, Beyond the melting-pot, Cambridge, The MIT press, 1963.

[4] L'usage du terme WASP remonte à l'ouvrage de Digby Baltzell, The Protestant Establishment: Aristocracy and Caste in America, 1964.

[5] Pour des références bibliographiques, M. Granjon, L'Amérique de la contestation. Les années 60 aux Etats-Unis, Paris, Presses de la FNSP, 1985, D. Lacorne, La Crise de l'Identité Américaine, Paris, Fayard, 1997 et C. Ghorra-Gobin, « South Central = Watts II ? », Hérodote #85, p. 143-160.

[6] Le mouvement en faveur des droits civiques a fait l'objet de nombreux ouvrages. Pour des références bibliographiques cf. The Origins of the Civil Rights Movement: Black Communities Organizing for Change, The Free Press, New York, 1984. Il est vrai qu'une fois l'esclavage aboli, les Noirs se sont retrouvés pendant un siècle victimes de la ségrégation sous-tendue par l'idéologie du « separate but equal » et Andrew Hacker va même jusqu'à signaler l'existence de deux nations, Two Nations: Black and White, Separate, Unequal, Ballantine Books, New York, 1992.

[7] In Thomas L. Blair, Retreat to the Ghetto: the End of a Dream?, Hill and Wang, New York, 1977, p. 83.

[8] Linda Chavez, Out of the Barrio: Toward a new Politics of Hispanic Assimilation, Basci Books, 1991 et Rudolpho de la Garza et al., The Latino National Political Survey, Westview press, 1993.

[9] Raphael J. Sonenshein, Politics in Black and White: Race and Power in Los Angeles, Princeton University press, 1993.

[10] W. A.V. Clark et P.A. Morrison, « Demographic underpinning of political empowerment in multi-minority cities », Rand Corporation, 1993.

[11] Sur la composition ethnique de la population de Los Angeles et les enjeux politiques cf. Waldinger R. et Bozorgmehr M. (ed.), Ethnic Los Angeles, Beverly Hills, CA, Russel Sage Foundation, 1996 ainsi que M. Davis, City of Quartz. Excavating the future in Los Angeles, Londres, Verso, 1990.

[12] Le premier arrondissement (1) était jusqu'alors le seul détenu par un élu hispanique.

[13] Ces chiffres proviennent d'une enquête menée par le Los Angeles Times.

[14] Pour une analyse critique de cette corrélation entre les caractères physiques d'une population et la culture à laquelle elle est censée se référer cf. D. Hollinger, Postethnic America. Beyond Multiculturalism, New York, Basic Books, 1995.

[15] La théorie de l'espace public comme caractéristique et fondement de la civilisation européenne a été défendue par Max Weber, La ville, Paris, Aubier-Montaigne, 1982 (traduction française) et par l'historien de la ville, Leonardo Benevolo, La ville européenne, Paris, Seuil, 1992. La civilisation américaine a pris un autre parti : elle a valorisé la banlieue et l'espace privé et domestique au détriment de la ville, cf. C. Ghorra-Gobin, La ville américaine, Paris, Nathan, 1998.

[16] W.J. Wilson, The Truly Disadvantaged: The Inner city, the Underclass and Public Policy. Chicago: University of Chicago press, 1987 et A. Downs, New Visions for Metropolitan America, Washington DC, The Brookings Institution, 1994.

[17] Cf. L.H. Fuchs, The American Kaleidoscope: Race, ethnicity, and the civic culture. Wesleyan University Press, 1990.

[18] Directeur de recherches au CNRS, enseigne à l'Université de Paris IV et à l'Institut d'Etudes Politiques (Paris). Son ouvrage Los Angeles, le mythe américain inachevé (Paris, CNRS édition 1997) a reçu le prix France-Amériques.